« J’ai échoué ». Voilà, c’est dit.
Comprenez-moi bien : je n’ai jamais aimé échouer, et pourtant, si nous sommes tous honnêtes ce soir, il m’arrive de planter certaines choses, des petites comme des grandes, et ce très souvent.
Peu parmi nous aiment le reconnaître, mais lorsque nous prenons le temps d’analyser nos vies, lorsque nous sommes assis sur ces froids et mouillés tabourets de bar, ou lorsque nous fixons le « silence sans fond » du milieu de la nuit pendant une insomnie, nous sommes tous de formidables machine à échouer!
Si nous n’échouions pas, il n’y aurait d’ailleurs pas besoin de services d’aide psychologique, de thérapie, de coaching, ni même d’un bon bourbon sec du Kentucky de temps en temps ! Si on va au fond du problème, tout le monde échoue-y compris, et peut-être surtout, les gens qui ont du succès.
Regardez Thomas Edison par exemple, peut-être l’un des plus fabuleux échec dans l’histoire du business. Certains disent qu’il lui a fallu plus de mille tentatives avant de créer une ampoule qui soit viable d’un point de vue commercial.
D’un point de vue rabbinique, ça le met presque à égalité avec Dieu.
Comme vous le savez peut-être, Roch Hachana est considéré par la tradition juive comme l’anniversaire de la création du monde, mais je suis prêt à parier que beaucoup d’entre vous ne savent pas que, selon la même tradition, le monde dans lequel nous vivons n’est pas le premier essai de Dieu. Je ne veux pas nous infliger de blessure narcissique, mais nous ne sommes même pas dans les dix premiers!
Selon le Midrash Tehilim (90, 13), Dieu a créé et détruit près de mille mondes (974 pour être précis), avant de réussir celui-ci-réussir, c’est relatif, étant donné que c’est vu de notre propre perspective égoïste. Ceci étant, réfléchissez à cela : 974 fois, c’est une façon d’apprendre qui prend son temps, pour Dieu qui est censé être parfait!
Je me demande si Dieu s’est senti frustré, ou s’est mis en colère, au fur et à mesure que chaque monde était mis dans la poubelle proverbiale ? (Est-il possible d’imaginer que, pour certains de ces mondes, les premiers mots n’aient pas été « que la lumière soit », mais, alors qu’ll recommençait à nouveau, une série de jurons et d’insultes à faire pâlir un marin?)
Peut-être est-il aisé d’imaginer Dieu frustré parce que nous avons tous été là. Commencer quelque chose est le plus délicat, parce que c’est le moment où la perfection de notre projet vient rencontrer l’imperfection de sa mise en œuvre. Peut-être est-ce là le sens du fameux proverbe hébraïque : kol hatahlot kashot, « tous les commencements sont difficiles » ?
Personne n’aime échouer, et bien peu même aiment dire aux autres qu’ils ont fait des erreurs ou qu’ils n’ont pas suivis les plans qu’ils avaient faits.
L’une des raisons qui fait que l’échec est si difficile à affronter, est que notre société nous dit sans arrêt que, si nous avons le bon équipement, les chaussures, l’ordinateur, le téléphone, un costume bien taillé, une eau de Cologne ou un parfum de qualité, ou même la bonne marque de café, rien ne peut se tenir en travers de votre chemin vers la réussite.
Mais la vérité est qu’il y a beaucoup plus qu’une tasse de café qui sépare les George Clooney de notre monde de nous autre, gens ordinaires. Le succès n’est pas aussi facile que ce que la télévision commerciale voudrait nous faire croire. Et donc, bombardés par des images de réussite, il devient encore plus difficile d’admettre nos échecs, y compris auprès de nos amis les plus proches. Après tout, souvent nous répondons juste « bien » à la question de base : « comment ça va? ». Peu répondraient : « en fait, j’ai vraiment des problèmes en ce moment ».
Oh, mais à quel point nos relations seraient plus riches si nous pouvions vraiment apprendre à partager avec les autres, dans la confiance, le pire de nous-mêmes, et pas juste le meilleur!
Ce soir, commence Roch Hachana. Depuis l’époque biblique et rabbinique, nos ancêtres savent que nous avons besoin de prendre ce moment pour faire notre examen de conscience, pour admettre nos erreurs, et reconnaître que nous ne sommes pas là où nous voudrions être. Toute notre tradition est basée sur l’idée que, non seulement il est probable que nous échouions, mais que nous allons échouer – et que nous échouerons de façon répétée, encore et encore, au fil de l’année.
Nous sommes ici ce soir parce que, en définitive, ce que nous avons vraiment réussi cette année, c’est à échouer !
Comment avons-nous échoué?
Il y a autant de façons d’échouer que de personnes dans cette salle. Certains ont échoué à donner le meilleur d’eux-mêmes à la maison, au travail, ou à l’école. Certains ont échoué à donner le meilleur d’eux-mêmes à leurs enfants, à leur conjoint, ou à leurs parents. Certains ont échoué à tenir des engagements, à prendre soin d’eux, à aider un ami dans le besoin, ou à être la personne magnanime.
De plus, n’avons-nous pas pris le chemin le plus facile pour nous sortir d’une situation ? Est-ce que nous avons essayé de faire plus ? Avons-nous placé le travail et le succès financier devant nos relations ? Pouvons-nous changer ce qui nous a mené à l’échec ? Pouvons-nous être plus diligents, avoir plus de considération, plus d’attention aux autres, être plus consciencieux, et plus tenaces?
Au cours de l’année passée, certains ont perdu leur travail par exemple, ou n’ont pas réussi à en trouver un, non pas à cause de leurs échecs personnels, mais à cause des réalités économiques. Avant de continuer, je pense qu’il est important de distinguer les fois où nous avons échoué personnellement, des fois où nous avons été victimes de circonstances qui ne dépendaient pas de nous. En ce qui concerne la première possibilité, notre tradition exige de nous que nous soyons honnêtes avec nous-mêmes, que nous ne dissimulions pas nos échecs et nos imperfections, que nous les passions en revue, avant de continuer sur des chemins plus élevés.
Être une bonne personne par conséquent, consiste à toujours essayer de faire mieux, pas à essayer d’être parfait.
Je me souviens de l’histoire de l’homme qui était préoccupé et qui va voir son rabbin.
Rabbi, dit-il en se tordant les mains, je ne comprends pas. J’essaye de tout faire à la perfection, mais la plupart du temps rien ne marche.
-Vraiment ? dit simplement le rabbin.
-Aidez-moi, s’il vous plais, ma vie est un échec complet.
Après avoir réfléchi un moment, le rabbin répondit:
Va, et regarde à la page 930 de l’almanach des Sports US pour l’année 1970, et peut-être trouveras-tu de quoi apaiser ton esprit.
Ne sachant pas très bien quoi faire de cette réponse, l’homme remercia le rabbin et se précipita pour trouver l’almanach en question.
Voilà ce qu’il trouva : la liste des moyennes de frappe des plus grands joueurs de baseball américains. Et plus particulièrement concernant un certain Ty Cobb : le plus grand batteur de son temps. Sa moyenne au cours de sa carrière n’était que de 0,367.
L’homme retourna voir son rabbin et lui dit, étonné : « Ty Cobb, 0,367. C’est ça la sagesse que vous vouliez que je découvre? Ce n’est même pas de la Torah, Rabbi! »
-Oui, répondit le rabbin. Ty Cobb, 0,367. Ça veut dire qu’il ne touchait la balle qu’une fois sur trois. Même pas une sur deux, et il était considéré comme l’un des meilleurs !
Ne mésinterprétez pas mes propos : il est sain de chercher à atteindre l’excellence. Mais après avoir essayé de faire de notre mieux, nous devons comprendre que l’imperfection fait partie de l’existence. Et dans cette optique, l’échec peut être le signe que nous avançons dans la bonne direction. Si nous essayons toujours de faire ce qui est sûr, si nous ne prenons jamais le moindre risque, nous n’échouerons jamais, mais, je vous assure que nous n’aurons pas réussi à vivre!
Est-ce que vous diriez à un enfant : « n’essaye pas ça, tu risques d’échouer »? Non, nous encourageons les enfants à prendre des risques raisonnables, même si ils peuvent aboutir à l’échec. Nous considérons cela comme une part intégrante de l’expérience qu’ils doivent acquérir. Et pourtant je suis persuadé que nous nous disons souvent à nous-nous continuons à nous développer. L’échec est une part normale de la vie, comme la réussite, si seulement nous pouvions l’accueillir de la même manière.
Que nous devions risquer l’échec pour pouvoir potentiellement réussir peut sembler évident. Cela a été dit dans bon nombre d’aphorismes, de discours de motivation, et de posters avec de mignons animaux. Et pourtant de nos jours, échouer est un acte particulièrement difficile.
Nous vivons dans une société qui est presque pathologiquement opposée à l’échec. Le désir de nous montrer meilleurs que ce que nous sommes n’est certainement pas un phénomène récent, mais dans notre monde de réseaux sociaux, d’une compétition effrénée pour obtenir un travail, une place à l’université, ou un conjoint, la pression pour être parfait est plus grande que jamais.
Le perfectionnisme se développe même en ligne, où nous sommes tous les conservateurs de nos vies,nous présentant au monde extérieur comme nous voudrions être, mais sans mesure avec ce que nous sommes vraiment ou ce que nous devrions être. Nous comparons constamment notre vie avec celle de nos amis en ligne, ce qui ne fait qu’augmenter encore plus la pression.
Vouloir être quelqu’un de meilleur n’est certainement pas une mauvaise chose ; c’est, en réalité, la seule chose qui compte pendant ces « jours de retour ». Le danger arrive lorsque je ne cherche pas à être une meilleure personne, mais une personne parfaite.
La différence entre vouloir être une meilleure personne et vouloir être une personne parfaite va affecter la façon dont je réagirai lorsque j’échouerai à atteindre les buts que je m’étais fixé. Il est important d’apprendre à réagir à l’imperfection, parce que l’échec n’est pas une question mais un fait : j’échouerai à être parfait. Je sauterai des jours où je suis censé aller courir, j’oublierai de répondre à un email, je ferai des choses parce que je suis en colère ou parce que je suis égo ite, et, de façon générale, je ne serai pas à la hauteur de la personne que je voudrais être.
William James appelait l’échec « un pivot de l’expérience humaine » (Les Formes multiples de l’expérience religieuse).Nous sommes faits pour travailler dur, souffrir, et échouer. C’est quelque chose qui nous rassemble tous parce qu’il n’y a pas une personne dans cette salle qui n’a pas connu l’échec.
Voyez la différence qu’il y a entre deux expressions que nous utilisons souvent de façon interchangeable : «j’ai échoué tant de fois 》 et «ma vie est un échec ». Penser que sa vie est un échec revient à créer une image de soi comme un looser perpétuel. Mais si vous apprenez de vos expériences, si vos échecs vous inspirent à vous surpasser et à faire mieux la prochaine fois, si vous comprenez que l’échec n’est qu’un événement momentané et qu’il ne vous définit pas, alors vous êtes un élève de la meilleur école du monde, et l’échec était le frais de scolarité payé pour votre éventuel succès.
Reconnaître, face à Dieu et à soi-même, comme ces jours redoutables nous demandent de faire, lorsque nous avons échoué dans nos vies, ne nous diminue pas. Au contraire, ça nous apporte la sagesse et la force de continuer à grandir et à nous améliorer.
Car le plus grand danger n’est pas l’échec, mais la fragilité de la vie dès lors que l’on cherche à être parfait. A chercher à vouloir être comme des anges, nous finissons par détruire ce qui fait de nous des êtres humains. Et être humain signifie permettre au monde d’être imparfait.
Le Judaïsme offre son propre antidote à une société qui préfère cacher ses échecs et cet antidote se trouve devant nous : c’est Roch Hachana, Yom Kippour, et les dix jours de repentance qui les séparent. Ces fêtes sont basées sur l’idée que nous reconnaissions tous nos échecs; que nous sommes des êtres imparfaits qui commettent des erreurs, et qui échouent.
Pendant les dix prochains jours, nous lirons encore et encore la liste de nos échecs, que nous les ayons commis personnellement ou pas. Nous répétons la phrase âl het shehatanou lefanekha, traduite généralement par « pour le péché que nous avons commis devant Toi ». Péché est un mot fort. Il est associé à des idées de culpabilité et de transgression morale.
L’échec nous fait souvent nous sentir coupables, comme des loosers, et nous donne envie d’abandonner. Mais le Judaïsme propose une autre approche. Het peut se traduire mieux par « manquer la cible ». Un bon exemple de cela vient du livre des Proverbes. Un verset (19, 2) dit : « gam belo daat nefesh lo tov, ve’éts beraglaim hoté ». Une personne sans connaissance, n’est pas bonne ; celui qui bouge précipitamment hoté, tombe, échoue, manque son but.
Si vous vous précipitez sans comprendre un minimum la situation, il se peut que vous échouiez ou que vous manquiez votre but. Une bonne image consiste à s’imaginer à un stand de tir à l’arc : vous tirez votre flèche, mais vous manquez votre cible. Au fil du temps, avec de l’entraînement, vous essayerez de nouvelles techniques, et avec un carquois rempli de flèches, vous vous améliorerez. C’est pour cette raison qu’en récitant âl het she hatanou lefanekha, nous nous frappons légèrement la poitrine, parce que manquer la cible a des conséquences. Mais ce n’est pas pour autant que nous battons trop notre coulpe !
Explicitez nos échecs peut être difficile, et même douloureux, mais c’est une façon efficace d’en prendre conscience et de s’améliorer. La techouva et Roch Hachana ne sont pas des jours qui ne parlent pas de honte, mais de culpabilité. Ils ne parlent pas de s’enfoncer dans le désespoir, mais de faire en sorte que nos échecs et notre culpabilité nous poussent à devenir meilleurs dans l’année qui s’ouvre devant nous.
Voilà la leçon que nous devons tirer de Roch Hachana : nous allons échouer. Chacun d’entre nous a de nombreux échecs inscrits sur notre addition de l’année passée, et de la même façon que Roch Hachana reviendra l’année prochaine, nous serons assis, si Dieu le veut, dans cette même salle, avec une nouvelle liste. L’échec est inévitable; mais si nous pouvons apprendre de nos échecs, s’ils nous enseignent quelque chose, s’ils nous poussent, s’ils nous inspirent, alors c’est une chose merveilleuse que d’avoir échoué.
Il y a une dernière chose que nous pouvons apprendre de nos échecs et que je voudrais partager avec vous : c’est la patience. Nous devons être patients avec les autres quand ils échouent, et, plus que tout, nous devons être patients avec nous-mêmes.
À Roch Hachana, nous devons nous définir à la lumière d’un concept que Benjamin Barber, un politologue, considère comme l’une des grandes vérités concernant l’être humain. Nous adorons ranger les gens dans des catégories, en leur attribuant généralement une caractéristique d’un ensemble binaire. Les gens sont gros ou maigres, introvertis ou extravertis, optimistes ou pessimistes, sérieux ou marrants. Tout cela conduit à des stéréotypes et à des généralisations qui ne sont pas vraiment exactes. Mais il y a une division que Barber dit être la division la plus cruciale et la plus correcte pour distinguer les gens. Il dit : « Je ne divise pas le monde entre les forts et les faibles, les gens qui ont du succès et ceux qui échouent, ceux qui y arrivent, et ceux qui n’y arrivent pas. Je divise le monde entre ceux qui apprennent et ceux qui n’apprennent pas. Ceux qui reconnaissez leurs échecs, apprennent de ceux-ci et passent à autre chose, et ceux qui ne reconnaissent jamais qu’ils ont fait quelque chose de ma, n’apprennent jamais de leurs erreurs, et se condamnent à les commettre à nouveau. » (Traits of a Healthy Spirituality, p 33).
Voilà pourquoi à la semaine prochaine à Yom Kippour, lorsqu’on nous demande de méditer sur la question de savoir si nos vies sont un succès, nous sommes jugés sur le fait de savoir si nous sommes suffisamment courageux pour reconna tre nos transgressions, et pour reconnaître nos erreurs et nos échecs.
S’il a fallu mille essais à Dieu pour créer le monde, nous pouvons certainement supporter quelques échecs dans notre tentative de vivre dans le monde de Dieu, et, et c’est le plus important, de le rendre meilleur.
(Traduction: Olivier Delasalle)
Tizkou I’chanim rabot néimoth vetovoth,
Puissiez-vous (tous) jouir de nombreuses années agréables et heureuses.
Que l’année 5778 soit pleine de douceur,de sérénité, de réussite, de santé et de paix!
Rabbin Tom Cohen