Hayom Harat Olam, affirme notre liturgie, accompagnée des sonneries du shofar, dans l’office de Roch Hachanah, demain matin: « aujourd’hui, le monde est né ! »
Ceci étant dit, l’expression hébraïque Hayom Harat Olam, ne dit pas tout à fait qu’aujourd’hui est le jour où le monde est né. En fait, si l’on examine la langue de plus près, on voit que le mot « harah » ne signifie pas exactement la naissance, mais la grossesse, la conception, la gestation. Et que le mot « olam » est mieux traduit par « éternité », puisque la racine linguistique ne signifie pas seulement « éternité » et « monde », mais aussi « dissimulé », en référence à l’infini qui est caché, au-delà des limites de notre perception. Si bien que Hayom Harat Olam est traduit de façon plus adéquate par « cette journée est enceinte de l’éternité ».
Quelle meilleure description pourrait-on choisir pour ce jour de repentance et de pardon, un temps où nous nous concentrons sur le tikkoun, la réparation, et la techouvah, le retour ? Quelle meilleure description pourrait-on choisir pour le premier jour de la nouvelle année 5774,un jour où l’on cherche à comprendre quels nouveaux potentiels et quelles nouvelles possibilités sont « en train de naître devant nous ».
« En train de naitre devant nous ».
La plupart du temps, lorsque nous pensons à cette expression, nous la comprenons dans son sens métaphorique. Cependant, alors que je regardais, façon plus concrète.
Comme vous pouvez l’imaginer, pendant la période de shiva, mes frères, ma sœur et moi avons passé beaucoup de temps à évoquer nos souvenirs en regardant des photos datant d’une période où nos parents étaient jeunes, vigoureux et pleins de vitalité. Nous avons vus des photos de ma mère et de étant donné que nous ne connaissions pas leurs noms. Bien sûr, nous avons regardé les nombreuses photos que ma mère avait de nos naissances, enfances, adolescences, et des années où nous étions jeunes adultes – ainsi que les débuts de nos propres familles-en résumé tous ces moments figés dans le temps, pleins de potentiels et de possibilités, comme semblaient l’évoquer la lueur dans nos yeux. Nous étions en train de regarder, littéralement, notre propre histoire se dérouler devant nous, et naitre avec chaque nouvelle photo.
Sans faire trop de commentaires sur la mode atroce des pantalons à rayures et des sweatshirts à col roulé à la mode que nous portions à l’époque, une image parmi les autres m’a particulièrement frappé. Elle montrait l’une de nos grandes réunions de famille, avec entre autre tous nos cousins, à la plage.
Cette image a résonné en moi parce que ce moment arrêté m’a ramené à l’époque. Je m’en suis parfaitement souvenu. La sensation du vent et du soleil sur mes joues ce jour-là, l’odeur du sel dans l’air, et le goût de la spécialité de Cannon Beach, un caramel salé, sur ma langue. Mais ce dont je me souviens le mieux, c’était un de mes cousins, à l’époque un bébé sur le point de parler. Il faisait tout un tas de jolis bruits qui formait une cacophonie en arrière-plan de la conversation de la famille et des bruits de la nature, lorsque soudain, il dit de façon claire ce qui fut considéré comme son premier mot. Honnêtement, je ne me souviens plus ce qu’était le mot, mais je me souviens comment il a pris tout le monde par surprise!
Je trouve fascinant la façon dont les être humains acquièrent le langage. Ce qui commence par une série de goo goo et ga ga, ou étant donné que la langue maternelle de mes enfants est le français, par quelque chose qui ressemblait plus à areuh areuh, se transforme en une série de sons distincts, de mots, de courtes phrases et au final de conversations entières.
Je suis aussi continuellement émerveillé par le fait que mes pauvres oreilles ne peuvent toujours pas entendre, et par conséquent malheureusement reproduire, certaines voyelles de la langue de Molière que mes enfants disent si facilement et si naturellement. Les enfants naissent avec l’extraordinaire capacité à acquérir le langage, et apprennent les compétences nécessaires en se contentant d’écouter et de pratiquer les mots qu’ils entendent. Ils distinguent le son du bruit, et transforment ces sons en langue. Le bruit se différencie en son, et le son devient la base de la parole : un miracle !
Alors que certains penseurs affirment que le langage est une capacité humaine inée (peut-être une grammaire profondément implantéé dans nos cerveaux, un peu comme le système d’exploitation d’un ordinateur gravé sur son disque dur), d’autres pensent que les enfants apprennent la syntaxe parviennent à distinguer le fracas et la clameur du monde qui lesentoure, des signes, gestes et mots dont le but est de transmettre un message signifiant.
En fait, ils expriment ce que les sciences de la communication appellent le « rapport signal/bruit » (ou SNR). Ce ratio compare le niveau d’un signal voulu (transportant une information ayant un sens) au volume de bruit de fond (les informations non-désirées, superflues, voire intentionnellement fausses).
Si vous avez déjà assisté à une conférence et soupiré durant la session de questions/réponses qui s’ensuivait parce que vous avez dû écouter une longue et inutile déclaration qui se faisait passer pour une question, vous savez déjà la différence entre le signal et le bruit.
Ou si vous avez déjà participé à une discussion en ligne, les messages sans liens avec le sujet constituent le bruit qui interfère avec le signal des commentaires pertinents.
Ou si vous avez eu le plaisir à un concert des Grateful Dead, en extérieur, un jour où il fait beau, vous aurez certainement fait l’expérience des premiers moments de certains morceaux quí ne sont rien d’autre que du pur bruit n’ayant aucun sens, avant de s’affiner peu à peu en un signal cohérent, pour finalement devenir une chanson enivrante.
Le simple fait de parcourir notre boîte email pour séparer les messages importants des spams, arriver à distinguer les appels importants de ceux des télé-marqueteurs indésirables, ou les nouvelles importantes de l’information générale, tout cela relève de notre besoin de discerner l’utile du futile.
Les meilleurs médecins doivent écouter des centaines de patients décrire toutes sortes de symptômes et de douleurs, et néanmoins être attentif à l’information la plus importante, celle qui peut être critique pour le diagnostic.
Des tris similaires doivent être effectués dans la justice, le commerce, et dans nos relations les plus personnelles avec ceux que nous aimons.
Et c’est également le cas pour nous durant ces Grandes Fêtes. Nous devons distinguer les sons importants des interférences crées par le bruit de fond qui peut exister dans nos vies. Le signal est le Vrai, le bruit est ce qui nous en distrait.
L’histoire biblique qu décrit le mieux la façon dont les bruits parasites peuvent nuire à nos vies, est l’histoire d’Elie sur mont Horev. Elie implore Dieu de le laisser le voir:
« Et Dieu dit : tiens-toi sur la montagne devant l’Eternel. Et voilà, l’Eternel passera. Il y eut un grand vent, si fort qu’il ouvrit des montagnes et qu’il réduisit des rochers en morceaux devant l’Eternel, mais Dieu n’était pas dans le vent ; et après le vent, un tremblement de terre,mais Dieu n’était pas dans le tremblement de terre ; et après le tremblement de terre un feu, mais Dieu n’était pas dans le feu ; et après le feu un voix tranquille et silencieuse (пp7 π2η7 Sip kol demama daqqa). Lorsque Eli l’entendit, il recouvrit sa face avec son manteau, sortit et se tint à l’entrée de la caverne. Alors une voix vint et lui dit : « que fais-tu ici, Elie ? » (I Rols 19, 11-13)
Tout comme dans l’histoire d’Elie au Mont Horev, nous aussi pouvons être pris par tous les effets spéciaux. Nous aussi pouvons perdre de vue le fil principal de l’histoire.
J’imagine qu’en général, notre société n’est pas très douée pour filtrer le bruit afin d’écouter ce qui est spirituellement important. En réalité, ce n’est pas facile pour la plupart d’entre nous. Si l’on veut être honnête, la plupart d’entre nous préfèrerait regarder un match de foot, manger un bon repas existence. Certains parmi nous pourraient même se demander, comme Dieu à Elie : « Que faisons-nous ici? » Car même ici, dans ce lieu de prière et de réflexion, nous devons filtrer bruit de la foule des inconnus et de la famille pour arriver à entendre cette voix tranquille et silencieuse qui est en nous. Soit nous sommes spirituellement endormis soit nous ne voulons pas avoir à filtrer ce bruit de fond.
Il y a tellement de distractions, tellement de choses qui nous préoccupent, qu’il est difficile de parcourir le chemin qui mène à la techouvah noin,un chemin qui fait que l’on doive se préoccuper du regret et de la peine, de l’humnilité et de la culpabilité… des émotions qui ne sont faciles pouraucun savoir si les offices sont à l’heure, si les gens qui sont censés lire des textes de notre mahzor viennent au bon moment, ou si l’assemblée est à la bonne page. Je me fait piéger à me soucier plus des « quoi » de l’office que des « pourquoi ». C’est la nature humaine que d’être pris par le bruit quotidien et de nous éloigner de l’essentiel. Mais nous savons aussi que ce n’est pas la raison d’être de ces fêtes, n’est-ce pas?
Et pourtant nous avons besoin d’un peu de bruit dans nos vies… ne serait-ce que pour arriver à distinguer les moments de quiétude.
Aussi contre-intuitif que cela puisse paraître, un espace parfaitement calme n’est pas toujours e meilleur environnement pour la réflexion ou pour stimuler notre créativité. Des recherches récentes ont même montré que travailler dans un environnement dans lequel règne un léger bourdonnement, comme dans un café par exemple, permet de stimuler la créativité et le développement chez beaucoup de gens. Je pourrais presque aller jusqu’à imaginer que c’est la formule secrète du succès de certaines chaines multinationales qui vendent du café. Si bien que si le bruit est généralement l’ennemi de l’information, c’est un compagnon familier de nos vies quotidiennes. Le problème surgit lorsque nous sommes pris par un bruit excessif.
Peut-être que, lorsqu’il y a trop de bruit dans nos vies, la seule solution pour parvenir à entendre à travers la confusion et le bazar embrouillé, est de les percer avec un signal plus fort. Pendant ces jours redoutables, nous avons un tel signal, un son puissant et perçant, qui est tout sauf une voix « tranquille et silencieuse ». Au lieu de cela, il est encodé dans ce qui apparaît être un pur bruit. Et il constitue en fait le cœur de la mitzvah de Rosh Hashanah. Avec son staccato, ses sonneries brèves et longues, ces anciens sons, mystiques, magiques et majestueux, il nous rappelle chaque année de revenir à nos mois véritables.
Nous écoutons la voix du shofar qui nous appelle à reconsidérer nos vies, à reconfigurer nos actes, à rétablir notre lien avec le peuple juif, et à revenir à une relation avec l’Eternel. Pour ceux qui ne sont pas familiers de cet instrument de musique, le son du shofar peut sembler n’être qu’un bruit – un peu comme certains perçoivent le vuvuzela – mais pour celui qui comprend, c’est vraiment un signal, un geste des générations précédentes qui nous appellent à finalement passer aux choses sérieuses. Le son du shofar est fait pour nous réveiller de notre léthargie et pour transpercer le simulacre de notre silence intérieur.
Tout est une question de décibels: trop peu et nous ne remarquerons rien, mais plus fort que le bruit de fond ambiant, et nous nous perdons dans les effets spéciaux au détriment de l’histoire centrale de notre vie.
Alors comment atteindre un meilleur équilibre spirituel entre le signal et le bruit (SNR) ? L’une des façons est le livre que vous tenez dans vos mains, le mahzor. Il peut devenir un outil pour aiguiser notre écoute, pas à cause de ce qu’il dit mais à cause de ce qu’il fait. Essayez cette technique pendant les dix prochains jours : lorsque vous priez, concentrez-vous sur les mots que vous récitez (même si vous ne les comprenez pas tous).revenez aux mots du mahzor, mais n’oubliez pas de prendre note mentalement de ces pensées qui sont entrées dans votre esprit. Ces pensées sont suggère de prendre un morceau de papier et d’écrire quelques-unes de ces pensées. Qu’est-ce qui vous préoccupe vraiment ? Qu’est-ce que vous aimeriez vraiment changer chez vous ? Qui avez-vous été au lieu d’être qui vous devriez être?
Nous pouvons utiliser ce temps entre Roch Hachanah et Yom Kippour pour méditer sur ces questions, pour imaginer des stratégies pour réparer ces choses dont nous devons nous occuper, et doucement parvenir à accepter les choses que nous ne pouvons pas changer.
Oui, il y a tellement de choses qui réclament notre attention et notre temps. Tellement de bruit ! Mais durant ces jours redoutables, on nous rappelle que nous sommes les enfants de Dieu (comme le dit la liturgie, dieu est Avinou Malkénou , et nous sommes ses enfants, anou vanekha des enfants qui sont à peine en train d’apprendre le langage de la vie. En écoutant le son du shofar, essayons de discerner si c’est juste un autre bruit qui envahit nos vies acoustiquement chargées ou un signal qui a une signification spirituelle. Et puissions-nous dire, avec les mots du psalmiste (89, 16) après l’office du shofar de Roch Hachanah : ashrei ha’am yodei teruah, béni soit le peuple qui comprend le shofar … parce qu’ils sont vraiment capables de séparer le signal de tout le bruit!
Au nom de ma famille, ainsi qu’au nom de notre famille élargie qu’est notre communauté Kehilat Gesher,
Shana Tova Tikatévou. Rabbin Tom Cohen Traduction:O.Delasalle